jeudi 27 avril 2006

Petit ange est né

La vie de couple va bientôt changer, d'ailleurs les prémices se sont fait sentir. Déjà le physique de la jeune maman annonce à tous que l'heureux événement approche. Tout est prêt pour recevoir l'enfant, même si papa et maman ne sont pas allés à l'école des parents.

Tous les jours le jeune papa demande à sa femme si elle supporte les coups de pieds du bébé, et parfois elle lui prend la main pour la poser sur une petite bosse qui glisse sous la peau. Cela l'impressionne. Alors il colle son oreille sur le ventre tendu et écoute le tou-toum rapide qui vient de l'intérieur. Et il ne peut s'empêcher de s'émerveiller.

Puis un matin, la jeune mère trouve que son ventre est devenu bien calme. Le jeune père n'arrive plus à entendre le tou-toum interne mais seulement des gargouillis de bulles. Plus de bruit, plus de mouvement.

Ils téléphonent à la gynécologue puis partent la retrouver à la clinique.
Elle les reçoit très rapidement, les fait entrer dans son cabinet, pose des questions, puis demande à la jeune femme de se mettre sur la table d'auscultation pour un examen.
Elle palpe le ventre et prend sa vieille trompe acoustique qu'elle place sur le ventre.
Elle non plus n'entend rien.
L'échographie montre un petit cœur qui ne bat plus, des membres immobiles, une tête dont les os ont commencé à se chevaucher par manque de pression intracrânienne.

Plus de vie, plus rien. Il ne reste qu'un petit corps d'où la vie s'est enfuie.

Un gouffre immense vient de s'ouvrir, la pièce entière y glisse puis chute, sans fin, sans fond.

Rentrés chez eux, le jeune couple peut se laisser pénétrer par cette mauvaise nouvelle et s'effondrer. Il leur faut ensuite annoncer au reste de la famille, serrer les dents, baigner dans le vide et l'absurde.

17 mai 1982.
Les champs de colza illuminent la campagne de leur feu jaune éclatant, le printemps s'est pleinement installé, les hirondelles strient le ciel.
C'est le jour de l'accouchement provoqué.
La clinique n'ayant pas de service particulier, c'est dans la maternité que cela a lieu, au milieu des vagissements des nouveau-nés.
Vide qui ne se comblera pas. Vide si vide.
Au bout de plusieurs heures d'attente et de souffrance, le petit corps sans vie voit le jour.
C'est un fille, gracile, inerte.

Un petit ange est né.

Sur le livret de famille, juste après le prénom que ses parents lui ont donné, sur l'acte de décès l'officier d'état civil a mis "enfant présenté sans vie". Comment est-ce possible de démarrer un livret de famille par un acte de décès ? Comment avoir confiance en la vie qui vient de se dérober ? Comment croire encore ? Comment trouver une alvéole pour l'emplir d'air et respirer ?

Colère, tristesse, recueillement. A aucun moment dans le couple le doute ne s'est installé ni les reproches. Colère, tristesse, espoir. Espérer qu'une autre vie viendra.

Elle n'a fait qu'un si bref passage parmi nous et la trace qu'elle a laissé, bien malgré elle, est si ténue qu'aujourd'hui peu se souviennent d'elle. Personne ne connaîtra la couleur de ses yeux qui n'ont d'ailleurs pas pu s'ouvrir. Personne n'entendra ses pleurs ou ses rires. Personne ne lui tiendra la main en marchant. Seuls resteront dans la mémoire des parents ses instants merveilleux et douloureux, sur le ventre de la mère les sillons violines de la chair qui a éclaté, dans l'oreille du père les tou-toum emballés d'un petit cœur qui n'a battu que l'espace de huit mois.

Je veux bien croire aujourd'hui qu'elle nous attend quelque part. Je ne t'ai pas oublié, petit ange.

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