vendredi 13 mai 2005

Pré --

Avril 2002.

Coup de fil de Paulette : "ton père est à l'hôpital ! ".
Quel hôpital ? Qu'est-ce qu'il a ? Depuis quand ? Comment est-ce arrivé ? Tu es où ?
Tourbillon, adrénaline !

Depuis deux ans je redoutais cette annonce. Aujourd'hui, j'encaisse.

Je revois mes deux derniers départs de chez papa. La même scène à quelques mois d'intervalle.

Je suis seul, descendu les voir, lui et sa femme. Pour deux ou trois jours, pour dire de garder le contact et aussi - et surtout - pour vivre quelques instants partagés avec lui.
Il me raconte encore ses souvenirs de jeunesse, ses histoires d'amour, la guerre, les guerres, la galère, les échecs, les joies, ses femmes, ma mère, mon arrivée, le divorce.
J'ai déjà entendu tout ça... mais ma mémoire n'est pas la sienne. Ses souvenirs entrent en moi, s'y perdent un peu, m'imprègnent de son vécu.
Tu m'as manqué, papa, pendant ces années où tu n'étais pas là, pendant ces années où je n'étais pas là. J'ai maintenant une sensation de fin.
Je t'aime, mais je ne te le dirai pas, car je n'arrive pas à me le dire.

Le moment de mon retour est arrivé. Devant la maison, tu me dis aurevoir. Face à face, nous plongeons chacun dans les yeux de l'autre, comme pour s'immerger, s'imbiber de cette essence. Tu ouvres tes bras, me plaques contre toi, m'embrasses sur chaque joue. Tu m'étouffes presque, alors je te serre moi aussi. Mais pas trop longtemps, juste ce qu'il faut de convenable. Alors que j'ai tellement envie de rester dans tes bras, sans bouger, sentir ta respiration et ton coeur de père tout contre moi. Me reposer sur toi. Est-ce que le temps s'arrêterait si je le lui demandais ?
Je monte dans la voiture, démarre, roule sur le chemin, jette un oeil dans le rétro. Ils sont là tous les deux qui me regardent m'éloigner.
Non, ce sont eux qui s'éloignent, figés devant la maison.
Par la vitre baissée, j'agite le bras pour leur dire aurevoir.
Le paysage file doucement, je ne les vois plus dans le rétro. Je passe le haut de la colline, la maison disparaît définitivement.
J'ai passé la crête comme on ramène une ancre... le quai s'éloigne et s'efface, on enroule, on roule.
Devant cette immensité vide qui m'apparaît tout d'un coup, un sanglot me broie la gorge. Une corne de brume pleure sur ces instants passés, sur cette certitude que c'est la dernière fois que l'on se voit, que ce qui a été ne sera plus, jamais plus. Tout se brouille. Tout se mouille. Il faut rentrer

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