jeudi 26 mai 2005

Notre Père

MAI 2002

23h30, coup de fil de Paulette : "Ton père ne va pas bien du tout, ils ne savent pas s'il va passer la nuit ! Viens !".

2h30 de route presque vide pour penser et revoir les jours précédents.

Papa est toujours dans cette chambre, avec un monsieur qui a une attaque pendant une de mes visites.

Le voilà cloué dans son lit, attaché encore pour qu'il ne s'enlève pas la perfusion. Il ne mange plus, rien ne passe. Il m'avait souvent fait comprendre, sans vraiment le dire, qu'il n'accepterait pas d'être diminué dans son corps, qu'il y mettrait un terme lui-même. Mais là, il ne peut pas, il n'est plus maître de ce corps qui ne semble plus lui obéir, et qu'on a de tout façon entravé.
il n'est pas très lucide, il ne parle que très difficilement.

Mais dans un souffle, il parvient à dire quelque chose que ni moi ni sa femme ne comprenons. On le lui fait répéter. Je dit à Paulette ce que j'ai cru finalement comprendre, tout en le refusant : "je suis en train de crever".
Annonce de cette évidence des faits, mais aussi de la conscience qu'il en a.
Je suis bouleversé, me détourne un instant essayant d'étouffer ce qui monte en moi.
Depuis le début, j'ai souhaité parler avec lui de ce départ qui se profile, mais comment faire et surtout je crains de lui faire peur, de rajouter à sa douleur.
Alors, pour lui montrer que je suis là, qu'il n'est pas seul dans ces moments qui seront pour nous les derniers ici, je prends sa main, la caresse, la garde dans la mienne jusqu'à ce qu'il se retourne et m'échappe.

Je ne peux faire que des visites de 2 jours en week end, et passer des coups de fils le soir à Paulette. La situation évolue peu à peu, mais sans savoir vraiment de quel côté.

Cette nuit, est-ce que j'arriverai à temps ?

Devant l'hôpital, aucun souci pour se garer.
Désert, vide. Je me sens vide. Impuissant.
Il est encore là.
Et la nuit suivante aussi.
Nous décidons de rester avec lui, Paulette sa femme, Christiane sa fille et moi.
A tour de rôle nous essayons de dormir un peu sur un lit de camp placé dans la chambre.
Nous le veillons, chacun d'un côté du lit, écoutant sa respiration qui s'est transformée en sifflements douloureux. Chaque pause me fait craindre un arrêt. Je lui tiens toujours la main, carresse son avant bras, son front.
Encore une inspiration. Encore une. Encore.

"Notre Père qui es aux cieux..."
Mon père, te voilà au seuil de ton passage, tu n'es pas seul sur ce seuil. Un autre t'attend, moi je reste encore un peu.

Le jour arrive, un jour encore. Encore un. Encore.

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