dimanche 22 mai 2005

Cette vie en rose

Mai 2002.

Papa a dû faire au moins trois hôpitaux : Pertuis, La Timone à Marseille, et enfin Aix en Provence.
Un interne mal à l'aise essaie de répondre à mes questions, au téléphone. Il me donne l'impression de s'emmêler, de ne pas savoir quoi dire, de ne pas vouloir dire. Plus tard, je comprendrai qu'une erreur médicale s'est produite.

Je piaffe, mais attends encore un peu pour descendre le voir. Tous les jours, des coups de fil me permettre de suivre les événements, d'essayer d'imaginer. Mais, lui, je ne peux pas l'entendre, il n'est pas en état de répondre au téléphone.
Enfin, je peux y aller lorsqu'il est provisoirement placé dans l'hôpital d'Aix en Provence.
Je vais d'abord chez Paulette.
C'est bête, je le sais bien pourtant, mais il n'est pas là. Pas là.
Tous les deux, nous allons vers ce lieu qui sera sa dernière demeure : l'hôpital.
Le trajet me permet de poser des questions, sur ce qui s'est passé, sur son présent, son futur.
Se garer reste un peu épique dans ce quartier, à moins de payer le parking. Qu'importe après tout.
Nous traversons la partie neuve de cet établissement : grand hall, premières personnes en pyjama, odeur légère.
Un ascenseur trop grand, des blouses blanches, des lits sur roulettes, nous montons.
A l'étage, l'odeur est plus nette : maladie, guérison, mort.
Plus loin dans le couloir, nous entrons dans une chambre dont la porte est grande ouverte.
Il est là.
Il est réveillé. Sa femme l'embrasse, lui dit bonjour, lui dit que je suis là.
Je suis là.
Je l'embrasse à mon tour en me penchant par dessus les rambardes levées de par et d'autre du lit. Il ne peut me serrer dans ses bras car ses poignets sont attachés par des sangles au lit.
Je suis ému, peiné. Emu de le voir. Peiné de le voir.
Il parle avec difficulté, sa bouche est très pâteuse, les tubes n'ont pas épargné sa gorge.

Il est désorienté. Quel jour est-il ? Où est-il ? Il ne sait pas.
Je lui explique tranquillement, lui parle des enfants, de la vie de tous les jours, du travail, du paysage méridional que l'on peut voir de sa chambre.
Il répond peu. Pas.

Son regard a pris cet air de petit enfant perdu, cherchant à comprendre, demandant une aide, un soutien, un réconfort.

De temps en temps, il s'endort. Puis une infirmière le réveille pour un contrôle des perfusions, une autre la rejoind, nous sortons attendre dans le couloir.
Au bout d'un moment il chante. Les infirmières ne comprennent pas ce qu'il dit, ni pourquoi.
Moi si.
Une association d'idées, une joie d'exister.
Elles sont habillées de rose, les médecins de blanc.
Alors, il voit la vie en rose. Il leur exprime ses remerciements avec ce qu'il a toujours aimé faire : chanter. Cela ne peut durer longtemps, sa voix se tait, manquant de souffle. En moi, elle continue, forte et limpide. Elle m'atteind, il me surprend.
Je le trouve étonnant de vitalité, de désir de continuer de vivre alors qu'il va si mal. Je l'aime pour ce don qu'il fait encore sur ce lit où rien ne lui est permis.

Je m'imagine une fois de plus dans ses bras. Je ne le verrai plus jamais debout.

Il me dit des mots d'amour, et ça m'fait quelque chose.

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