Certains jours sont gris et pluvieux, même froids.
Ce jour était gris, pluvieux et venté. Un vent chaud du sud soufflant en rafales jusqu'à 40km/h, chaud mais insuffisamment puisque l'anorak était nécessaire.
J'ai fait le chemin à pied jusque chez R. J'avais trop chaud en marchant si vite.
J'ai pris le début de la rue Paul Bert pour ... rien. La moto était garée à sa place. Rien.
A l'aplomb de la place ronde, j'ai compris que je n'étais plus loin de R, mais je me suis laissé distraire par un homme tenant son chien en laisse. Ils marchaient tous les deux devant moi, d'une allure plus calme que la mienne. Lui tenait la laisse d'une main nerveuse et jetait quelques coups d'œil à droite et à gauche, protégé par ses lunettes de vue en guise d'œillères. J'ai dû ralentir pour attendre de pouvoir les dépasser, les talonnant de près. Arrivés à un feu, l'homme s'est poussé sur la droite, me laissant le passage. Il avait senti ma présence. Je l'ai donc doublé en allongeant le pas et j'ai traversé la rue.
C'est là que j'ai vu sur le trottoir, à une vingtaine de mètres, R qui venait en face, un grand sourire illuminant son visage.
Les choses, toutes les choses ont repris leur place.
Il était là, pour moi, devant moi.
Nous avons échangé un baiser genre "smack", non sans avoir négligemment jeté un œil complaisant sur les alentours.
Puis tout s'est enchaîné trop vite, parce le temps n'attend pas, lui.
Nous avons bu ce si bon café dans la cuisine, R à califourchon sur mes genoux.
Le temps était gris et pluvieux.
R, dans un souffle contenu entre deux parenthèse, m'a dit qu'il ne voulait pas m'embêter avec "ça" et qu'il allait arrêter d'en parler. Rien ne m'embête quand il s'agit de la vie de R. Il faut bien qu'il en parle, qu'il m'en parle, sinon à quoi bon ?
Nous avons rebranché la prise verte des hauts-parleurs dans le trou vert à l'arrière du pc. Le test du son était concluant.
R voulait aller visiter le cimetière de Loyasse. Un jour de Toussaint, j'ai trouvé que ce n'était pas le meilleur moment à cause de la foule et ses chrysanthèmes. J'ai failli lui demander d'aller voir la tombe de Pierre, mais le vent... soufflait trop.
R a finalement eu la bonne idée de penser au confluent qui s'est fichtrement féminisé en confluence. Nous avons pris sa voiture et roule ma poule !
Nous nous sommes garés à la Sucrière, endroit plutôt désert en cet après-midi. Les photos se sont bousculées, autant pour l'un que pour l'autre. Nous nous sommes un peu entrelacé sur une plateforme de béton posée dans un décors non fini. La dame sur le quai a dû nous voir, qu'importe.
Nous avons descendu la Saône, parfois en se tenant la main.
Nous avons parlé de nous, des autres, de quelques uns.
Nous avons pris et repris des photos, passé des barrières, marché dans la terre mouillée, passé sous les ponts. Le quai était désert.
Puis ce fut le confluent.
Partie nue qui conserve les traces d'une autre époque, partie habillée de bleu qui subit la transformation, le bas et le haut entourés des deux bras qui se mélangent. Les cormorans s'en fichent, tranquillement installés sur les poteaux bariolés qui marquent la frontière des deux mondes.
Le vent me gèle un peu les mains.
R me réchauffe une de ces mains dans la sienne.
Nous remontons d'un grand étage pour atteindre le flot des voitures qui traversent le pont. Un vieux pépin s'aère les baleines appuyé contre un fond bleu.
Les prostituées attendent et ne regardent pas les familles qui viennent à la séance du cirque. Les familles pressent le pas dans les feuilles mortes, elles croisent ce beau jeune homme qui entre et sort de l'enceinte des chapiteaux.
La voiture est toujours là, insensible à ces autres qui cherchent un endroit reculé pour consommer ce qui a été payé sur le boulevard d'à côté.
R me ramène, assez proche de chez moi, et nous passons devant cet endroit où il est allé ce matin, seul avec son sourire et les fleurs achetées à l'unique marchand posté devant l'entrée.
Il part rejoindre sa mère, il part après un dernier coup de klaxon-main qui s'agite-regard dans le rétro.
La pluie ne va pas tarder à tomber, à nouveau, lavant les traces de nos pas sur les galets du Rhône. Les poumons ont pu respirer un grand bol d'air, assez grand pour tenir encore une apnée jusqu'à lundi.